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Interdire les néonicotinoïdes : une urgence environnementale et sanitaire

dimanche 13 septembre 2015, par FFAP

Septembre 2015

Interdire les néonicotinoïdes : une urgence environnementale et sanitaire

Cela fait 20 ans, qu’année après année, les apiculteurs tirent la sonnette d’alarme et dénoncent les impacts négatifs des néonicotinoïdes (NN) sur leurs colonies d’abeilles.

Depuis, toutes nos observations et hypothèses ont été largement confirmées par les scientifiques.

Historique : les premiers constats

Dés 1995/96 dans l’ouest et le centre, puis en1997/98 dans le sud ouest, les apiculteurs constatent des dysfonctionnements importants sur miellée de tournesol : comportements anormaux des abeilles et des colonies, affaiblissements rapides, dépopulations... Conséquences immédiates : baisses très importantes de récoltes, suivies d’une forte augmentation du taux de mortalité automne/hiver et d’un affaiblissement des colonies en sortie d’hiver.
Ces dysfonctionnements sont observés à grande échelle, dans des exploitations aux pratiques très diverses. Différents paramètres sont étudiés : conditions météo ou climatiques, variétés de tournesol...
Point commun : zones de grandes cultures ; outre le tournesol, très souvent du maïs. Vu ce contexte, on recherche aussi du côté des pratiques agricoles : le seul changement significatif dans ces zones est l’introduction et le développement de l’utilisation d’un nouveau traitement insecticide en enrobage de semence (Gaucho) principalement sur maïs et tournesol.
La préparation Gaucho est à base d’imidaclopride, substance insecticide de la famille des néonicotinoïdes (NN).

3 caractéristiques principales de cette famille d’insecticides nous ont particulièrement alertés :

  • Le mode d’action : affecte le système nerveux central des insectes (neuro-toxique)
  • La systémie : la migration dans toutes les parties de la plante : cela signifiait que pollen et nectar étaient contaminés, idem pour les exsudats et eaux de guttation.
  • Une grande rémanence : la persistance dans le sol (beaucoup plus élevée que celle annoncée par les fabricants).

Très rapidement, les apiculteurs ont fait part de leurs observations et de leurs soupçons aux administrations concernées en leur demandant de s’intéresser de plus près à ce produit.

Les premières investigations ont conduit au retrait de Gaucho sur tournesol (1999) puis sur maïs (2004). En 2013, un moratoire est décrété concernant l’utilisation en TS de 3 néonics (imidaclopride, clothianidine, thiaméthoxam) sur tournesol, maïs et colza.

L’apiculture confrontée aux phénomènes de sur-mortalités

Cependant, malgré les connaissances accumulées, et en dépit de ces interdictions partielles , la situation de l’apiculture n’a cessé de se dégrader ; outre un affaiblissement généralisé des colonies, les phénomènes de SUR-MORTALITES se sont aggravés.

Nous insistons sur le terme "sur-mortalité" : comme dans tout élevage, et comme tout être vivant, l’abeille est régulièrement confrontée à des facteurs qui peuvent entrainer la perte de colonies : pathologies, parasites, prédateurs, aléas météo, et aussi intoxications ponctuelles par pesticides !

Mais là, nous parlons de dysfonctionnements et de taux de pertes largement supérieurs à ceux qui peuvent être habituellement imputés à ces facteurs :

  • des pertes hivernales passées en moyenne de 5 à 8 % à 25 à 30% ;
  • des pertes anormales en saison , quasi du même ordre.
  • un nombre important de non-valeurs toute l’année, c’est à dire des ruches improductives : dépopulation, affaiblissement, retard ou arrêt développement, pertes de reines...
  • de plus en plus d’échecs dans l’élevage (baisse de la fertilité des mâles et/ou de la fécondité des reines)

Conséquence, la production de miel s’est effondrée : perte de 70% (de 40000 T avant 1995 à 12000 estimées en 2014)

Évolution de la production d’une exploitation vendéenne

D’abord cantonnés aux zones de grande culture, ces phénomènes concernent désormais toutes les exploitations, sur tout le territoire, quelles que soient leur taille et leurs pratiques, quelle que soit l’expérience des apiculteurs :
comment pouvait-il en être autrement quand en même temps, l’usage des NN se développait massivement.

Les néonicotinoïdes : les insecticides les plus utilisés

Depuis leur introduction en 1994, l’utilisation des NN sous toutes formes d’application s’est très largement répandue : d’abord dans les cultures à paille (blés, orges..), les betteraves fourragères et sucrières, et en arboriculture, puis en maraîchage, viticulture, sylviculture, horticulture, pour la désinsectisation ( bâtiments et matériels d’élevage..et aussi chez les particuliers), usages vétérinaires (animaux domestiques), ils sont aussi à la disposition des jardiniers amateurs.

Plus d’une centaine de produits à base de néonicotinoïdes ont été et sont encore autorisés en France, alors qu’on connaît leur toxicité pour les abeilles et toute la faune non-cible et qu’il est admis que les procédures d’homologation sont inadaptées pour évaluer cette famille d’insecticides.

Les différentes spécialités à base de substances néonicotinoïdes actuellement autorisées en France

Cet usage massif couplé à des propriétés spécifiques (persistance longue dans les sols, systémie) conduit à une contamination généralisé des sols, des eaux, de l’air, et implique une disponibilité importante pour l’abeille : elle sera largement exposée via la flore tant sauvage que cultivée, et via les eaux (stagnantes et courantes) dont les colonies sont grandes consommatrices. (50 à 100 l / colonie)

Plus aucune zone n’est épargnée, même celles réputées zones refuges : les NN sont partout y compris dans nos ruches ! Ce que confirment fréquemment des analyses de différentes matrices apicoles.

De nombreux autres pesticides sont détectés dans les matrices apicoles. Or lorsque les NN sont combinés et en synergie avec d’autres pesticides, en particulier les fongicides (très présents), les effets toxiques des néonicotinoïdes augmentent considérablement, et se manifestent chez les abeilles par un large éventail de pathologies : infections bactériennes, virales et fongiques.

La recherche confirme largement la toxicité de ces pesticides

On ne peut plus nier qu’il y a une corrélation entre la disponibilité massive des NN dans l’environnement, et le déclin de nos colonies, et plus largement l’effondrement des populations des pollinisateurs. Ces produits ont un impact majeur sur la santé de nos abeilles et réduisent fortement leurs capacités de résistance et de récupération.

- Evaluation mondiale intégrée des pesticides systémiques réalisée par la "Task Force on systemic pesticides". 29 scientifiques indépendants ont passé en revue plus de 1000 publications scientifiques pour évaluer l’impact des pesticides systémiques sur l’environnement.

Présentation M. Bonmatin CSA 16-12-2014


- Rapport de l’EASAC (European Academia Science Advisory Council) : Services écosystémiques, agriculture et néonicotinoïdes
- Communiqué de l’EFSA

Impacts probables sur la santé humaine

Les apiculteurs ont été les premiers lanceurs d’alerte en dénonçant la toxicité des NN pour les abeilles et leur environnement.

Cet environnement de l’abeille, c’est aussi le nôtre : si les ressources de l’abeille sont contaminées, les nôtres le sont aussi (air, eau, aliments)

L’abeille est habituellement reconnue "sentinelle de l’environnement" ; son état de santé préfigure celui de tous les êtres vivants partageant les mêmes ressources et milieux de vie.

Mais si la littérature scientifique abonde sur le thème des effets des NN sur la faune non-cible, il existe très peu d’études concernant la santé humaine.

C’est pour le moins très préoccupant quand on connaît la grande proximité des modes d’action, des cibles et des effets des NN avec ceux de la nicotine ; or les impacts négatifs de la nicotine sur la santé humaine sont très largement documentés.

Résumé des effets NN par le Dr Nicolle

Les rejets industriels sont encadrés et ont été drastiquement réduits, mais l’agriculture fait exception : les pouvoirs publics ont autorisé des épandages massifs de molécules parmi les plus toxiques sans jamais étudier sérieusement les coûts réels en terme de santé humaine.

Des pratiques agricoles en question

Le recours aux NN relève très largement d’un usage prophylactique (= traitement préventif donc systématique), plus particulièrement quand ils sont utilisés en traitement de semence.

Les 27 académies scientifiques européennes (EASAC) mobilisées pour sonner l’alarme sur ces insecticides précisent à ce sujet : « La pratique actuelle de l’utilisation des néonicotinoïdes est incompatible avec les principes de base de la gestion intégrée des ravageurs de la Directive 2009/128/CE sur l’utilisation durable des pesticides".

Afin de sortir de l’usage prophylactique des pesticides (souvent inutiles mais toujours toxiques), le Ministre de l’Agriculture se devrait de mettre en oeuvre cette Directive qui instaure un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

Et ce serait en complète cohérence avec l’objectif affiché par M. Le Foll : faire de la France le leader de l’agro-écologie en Europe.
http://agriculture.gouv.fr/lagro-ecologie-une-force-pour-la-france

Des alternatives sont possibles : exemples en Europe

Depuis 2008, l’expérimentation grandeur nature en Italie de la suppression des traitements de semences avec des insecticides systémiques (néonicotinoïdes et fipronil) et les résultats obtenus (baisse de la mortalité des ruches de 37,5% à 15%, maintien des rendements de production de maïs, diminution importante des chrysomèles) nous rappelle que des alternatives existent.

Toujours depuis 2008, l’Allemagne a conservé son rang de deuxième producteur de céréales d’hiver en Europe, alors qu’elle a renoncé à l’utilisation de ces mêmes traitements de semences.

Dans ces 2 cas, on observe un retour aux principes agronomiques de base et à leur application concrète sur le terrain.

Sur l’impact des traitements de semences appliqués aux céréales :

http://apipro-ffap.fermeasites.net/spip.php?article33&var_mode=calcul